un livre a paraitre
l'ouvrage sera disponible dans les réseaux de distribution "amazone.fr" que dans quelques semaines
« L'objectif ultime, la raison d'être du héros d'Ibn thophaïl, Hayy Ibn Yaqdhân, est de montrer comment on peut réaliser la conjonction de l'intellect hylique avec l'intellect agent, l'intelligence préposée au gouvernement de ce monde selon la cosmogonie néoplatonicienne médiévale. Pour rendre compte de sa naissance, l'auteur expose deux hypothèses: l'une étant la génération spontanée, la croissance de l'enfant va de paire avec le développement de ses facultés mentales. Il commence donc par connaître les choses sensibles et découvre, peu à peu, que derrière la multiplicité ici-bas, se profile un principe d'unité qui coordonne tout. Voyant que toute chose dépend d'une autre pour sa venue à l'être.
Hayy comprend enfin que l'univers, dans son ensemble, doit former un tout qui a peut-être été créé, ou bien qui a existé de tous les temps. Reflétant les hésitations des penseurs de son temps, Ibn thophaïl se garde bien de faire trancher cette question épineuse de l'éternité ou de l'adventicité de l'univers par Hayy. De manière assez significative, il insiste sur le fait que l'univers, dans un cas comme dans l'autre requiert un agent pour le maintenir dans l'être. Cet agent est nécessairement une forme, que Hayy ne peut tenter d'appréhender qu'au moyen de son intellect.
Désireux de pousser le plus loin possible cette appréhension de la forme de l'univers ou de l'intellect premier, Hayy comprend enfin qu'il doit tenter de ressembler au seul être qui soit véritablement un, à savoir Dieu. Grâce à des exercices assidus, il parvient à s'abstraire de toute matière, à accéder à un état d'extase. Dans ces pages qui comptent parmi les plus belles du mysticisme philosophique, Ibn thophaïl fait découvrir à Hayy, non point l'être suprême, mais son reflet dans l'Univers.
C'est une sorte de soleil, source surabondante d'une aveuglante lumière qui surgit soudain à la vue du solitaire, et qui diffuse ses rayons à travers les niveaux d'être pour aboutir à « un reflet dans une eau tremblotante ». Ibn thophaïl insiste bien sur le caractère ineffable de cette vision et sur le complet anéantissement de soi pour y parvenir. Il est d'ailleurs intéressant de noter que c'est en commentant cette vision extatique de Hayy que Moïse de Narbonne établit une sorte de tableau de correspondances entre les séfirot des Kabbalistiques, les intellects séparés des philosophes et les sphères. C'est probablement le passage de toute l'oeuvre de ce philosophe juif où il pousse aussi loin une volonté d'harmonisation entre l'enseignement de la kabbale et celui de la tradition théosophique de l'Islam.
En guise de conclusion, Ibn thophaïl montrera que ce que vit Hayy dans sa vision ne différait pas, quant au fond, de ce que pouvait voir le fidèle de la religion révélée; le premier voit la vérité dans sa splendeur presque originelle tandis que le second en perçoit la figure symbolique.
Or une vérité ne saurait contredire une autre. En vue de vérifier ce postulat, Ibn thophaïl fait en sorte que Hayy sorte de son isolement. Il organise une rencontre avec Açal (Abçal), homme religieux désirant fuir la solitude des hommes. Grâce à cette rencontre Hayy sera instruit des vérités enseignées par les religions révélées; confrontant ses vues avec celles de son nouveau compagnon, il constatera que les résultats de sa propre sagesse ou philosophie, ainsi que les enseignements de la religion positive ne font qu'un, si ce n'est que cette dernière a ressenti la nécessité de graduer la vérité selon la capacité d'assimilation de ses auditeurs. Les deux hommes comprennent que les anthropomorphismes du Coran (et de la Bible pour Narboni) ne servent qu'à rendre certaines choses sublimes un peu plus accessibles aux vulgaires.
Intervient alors un épisode dans la vie des deux hommes qui nous fournit d'importantes indications sur les conceptions politiques d'Ibn thophaïl. En effet, voulant que les autres tirent profit de leurs découvertes, les deux compagnons embarquent dans un navire qui les conduit vers l'île voisine habitée par des hommes de non-aloi. On leur fit initialement bon accueil, mais les visages de leurs interlocuteurs devenaient plus sombres au fur et à mesure qu'on leur exposait les idées nouvelles. Découragés, les deux hommes s'en retournèrent vivre dans leur île déserte, convaincus que toute société était irrémédiablement corrompue. Il ne faudrait pas y voir une condamnation définitive de toute vie en société par Ibn thophaïl; son enseignement est plus nuancé: la religion est un phénomène social qui englobe les réalités d'un groupe humain donné à une époque donnée.
L'âme raisonnable d'un homme atteindra par elle-même les mêmes réalités supérieures auxquelles la religion révélée est censée faire accéder ses tenants. Il reste que c'est la spiritualité qui l'emporte sur l'exiguïté de la religion positive, laquelle n'en demeure pas moins, la norme dans tout groupe humain. Le seul échec de Hayy, si tant est que l'on puisse parler d'un échec, est d'avoir sous-estimé une telle réalité ».
Cette oeuvre, avions-nous dit, est à mi-chemin entre le texte sacré et le texte littéraire. Nous l'avons prise comme grille de lecture ou oeuvre représentative d'un genre littéraire: Le récit initiatique à contenu théosophique. Le mysticisme religieux n'a cessé d'alimenter le mysticisme littéraire depuis le moyen âge aussi bien dans la tradition chrétienne, musulmane que juive. Les trois religions monothéistes, en apparence isolées
l'une de l'autre, ont toujours été influencées l'une par l'autre, et se sont même réconciliées dans un terrain privilégié: la littérature.
Grâce à celle-ci, les conflits de paroisses se sont reconvertis en angoisse existentielle où, le seul souci était de rendre l'espoir à l'homme en l'amenant à se questionner sur lui-même, à rechercher sa voie sans écoulement de sang, ni haine fratricide.